mardi 10 novembre 2009

La peau de l'ours



Tous les ans, pour la fête patronale de Furcy, en l’occurrence la Saint Michel Archange, les amis du Président [Magloire] faisaient chercher un groupe musical « La Boule de Feu » [le même chaque année], qui avait pour mission d'assurer l’animation de cette fête champêtre. C’était le règne du geste large, où l’administration en place ne lésinait pas pour les débours, et naturellement, la fête de Furcy figurait en lettres rouges chez le maestro de l’orchestre, en tête de son budget annuel. A la fin du bal, l’un des chambellans faisait signe au chef d’orchestre qu’il pouvait arrêter de jouer, et vienne toucher son salaire. Laissant dehors ses musiciens, il entrait seul pour prendre l’argent, puis avant de ressortir, en faisait deux parts : l’une qu’il enfouissait dans sa poche, et l’autre, qu’il distribuerait à ses partenaires en ressortant.
Le partage n’était jamais équitable certes, mais quand on y pense, il n’était pas donné à tout le monde de jouer pour le chef de l’Etat !
Cette année-là, personne n’étant venu chercher l’orchestre pour des raisons qu’on ignore, le maestro alla donc proposer à un chauffeur de taptap qu’il transporte son groupe là-haut, moyennant paiement après que le Président lui aurait payé sa journée.
Réticent pour le principe, le chauffeur lui dit que ceci s’appelait vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué! Mais l’autre jurait qu’il savait ce qu’il faisait, et promit la somme de mille gourdes, en paiement du transport, une fortune à l’époque !
A ce prix-là, le propriétaire du véhicule fut d’accord …

Bref, les voilà partis, les cuivres bien astiqués, brillant comme de l’or, et pour ne pas perdre de temps, notre orchestre s’était mis à répéter les meilleurs morceaux de son répertoire durant le trajet: "--An ba pon pawa, sé la Kanson Fè rété..." etc., des titres que le président réclamait lui-même chaque année ! A l’orée du hameau de Furcy, il y avait certes un peu d’animation autour de l’église, mais rien toutefois qui pût présager qu’un chef d’Etat viendrait à la fête cette année.

Il était visible que le maestro était dans ses petits souliers, et à chaque bourdonnement de moteur qu’il entendait dans le lointain, le pauvre tendait le cou [et l’oreille] vers la route en lacets, mais tout comme sœur Anne, il ne voyait rien venir … Le propriétaire du taptap ne se donnant pourtant pas pour vaincu, allait proposer, à son tour, un marché au maestro :

« --Il y a ma fille ainée qui se marie ce soir, or je suis très embarrassé de ne pas pouvoir lui offrir un orchestre pour sa réception. Venez donc jouer chez moi, et nous serons quittes ! Qu’en dites-vous ?"

Le Mariage avait été un succès, les invités ayant dansé au rythme de La Boule de Feu. Et comme on dit, tout fut bien qui finit bien …

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